Le contexte

En Guajira, région semi-désertique sur la côte nord de la Colombie, Cerrejón Limited, une multinationale minière, exploite depuis 30 ans la mine de charbon à ciel ouvert la plus grande du monde,  déplaçant le populations par la force, privatisant les cours d’eau, polluant air et eau, tout cela avec l’aval complice du gouvernement national.

La situation des communautés qui vivent sur le territoire est alertante: les superficies agricoles diminuent d’année en années, 420 familles ont été déplacées, 5000 enfants sont morts pour manque d’eau et d’alimentation les dernières années. Sans parler des conséquences environnementales irrémédiables…

Malgré le pouvoir de la multinationale, la résistance s’organise: organisations citoyennes et syndicales luttent pour défendre leur souveraineté alimentaire, leurs droits à la terre, à l’eau, et à pouvoir jouir des richesses de leur propres territoire.

Le projet

Dans le cadre de cette mobilisation sociale, et en vue des prochaines manifestations et autres actions, nous avons construit, en complicité avec le Comité por la Dignidad de la Guajira et avec notre ami Ladislas, une marionnette géante pour symboliser Cerrejón et son influence sur le territoire, afin de créer une représentation forte et claire, à la fois monstrueuse, dangereuse, mais aussi vulnérable de l’entreprise minière.

Cette marionnette, construite et animée avec des militants de la région, devait accompagner les manifestations, comme le symbole de l’ennemi.

Malheureusement, jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons jamais pu lui donner vie, parce que les manifestations ont été déplacées et déplacées, pour finalement ne jamais s’organiser.La confusion du contexte politique de la Guajira, aux mains d’élites corrompues, le pouvoir excessif de la multinationale sur les organisations sociales, et notre naïveté sont quelques unes des raisons de cet échec.

Nous espérons néanmoins pouvoir donner vie à ce monstre, en Guajira ou dans une autre région, l’exploitation minière étant une des problématiques nationales centrales du moment.

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Ver sitio web del proyectofairefaceaumonstre.wordpress.com Con el apoyo de Nuestra red de grandes amigos  Fondo xminy Comité para la Dignidad de la Guajira Gracias a Luisa, Maru, Ana, Jonathan, Daniel, los estudiantes de Maicao y todos los que han puesto sus manos en el pegante.Voir le site web du projetfairefaceaumonstre.wordpress.com Avec le soutien de Notre réseau de grands amis Fondo xminy Comité para la Dignidad de la Guajira Merci à Luisa, Maru, Ana, Jonathan, Daniel, les étudiants de Macao et tous ceux qui ont mis les mains dans la colle!

Avril-juillet 2016/ Sierra Nevada de Santa Marta, Région Guajira, Colombie

À une heure et demi de marche de Palomino* montant vers la Sierra Nevada de Santa Marta*, se trouve l’école du village indigène Kogui* de Seywiaka. C’est là que nous proposons d’établir un atelier de marionnettes régulier avec les enfants, ayant comme objectifs d’explorer et créer avec les matériaux de la Sierra, matériaux physiques autant que matériaux imaginaires. S’immerger dans la vision du monde Kogui, ouvrir des portes sur l’imaginaire collectif à partir des matériaux qu’on trouve ici. Et avant tout, partager.

Légende : le théâtre de l’école

Pendant trois mois, nous intervenons une fois par semaine pour créer deux groupe de théâtre ouvert à tous, l’un avec les enfants de 7 à 15 ans, et un autre avec les plus petits, de 4 à 6 ans.

Ne parlant pas encore bien l’espagnol, les plus petits deviennent rapidement nos professeurs de langue Kogui. Pour travailler avec eux, nous fabriquons quelques marionnettes à partir de matériaux naturels du lieu. Ce sont les enfants qui les nomment, définissent leurs caractéristiques, inventent leurs origines et histoires de vie… C’est ainsi que naissent Sukua (l’enfant), Kurtse (l’arbre), Luigi (la chauve-souris)… avec lesquels les enfants improvisent et inventent des histoires.

De gauche à droite : Luigi, Sukua, Kurste, Zigi (le cerf). Jate Nuba (Monsieur Oiseau)

En effet, un de nos objectifs est de travailler à partir de la vision du monde et des histoires de la communauté, et de pouvoir les exprimer, et re-signifier à partir des marionnettes ; le fait que les histoires viennent des enfants à travers l’improvisation est donc primordial.

Avec les plus grands, dans un premier temps, nous faisons beaucoup de jeux corporels et théâtraux pour travailler la ludique et la concentration collective, ainsi que des exercices d’échauffement de l’imaginaire et d’exercice d’animation de marionnettes.

Ensuite, nous proposons un temps d’exploration plastique et de construction de marionnettes. Tous les enfants sont les bienvenus, qu’ils aient ou non participé aux ateliers antérieurs. Ce temps permet à beaucoup d’entre eux de participer au processus théâtral d’une autre manière. Le cadre de l’atelier est très ouvert, c’est un laboratoire où chacun fabrique à sa guise, tout seul ou à plusieurs, et toujours avec les matériaux de l’alentour. Entre les balades à la recherche de visage apparus dans les écorces, de dents de tigres en coquillages, d’yeux de vipère en graines d’arbres, et le bricolage des uns et des autres à partir des matériaux récoltés, ce sont deux semaines de création intense. Des palmes et des bois du fleuve surgissent des cerfs, des caimans, des serpents, des tigres, des bateaux, des oiseaux, des anciens…

Pendant cette étape, nous organisons également des soirées de théâtre d’ombre libres pour expérimenter et jouer avec les éléments créés pendant la journée. Beaucoup d’enfants de l’école se retrouvent alors dans le petit théâtre pour jouer avec fascination à la lueur des bougies et voir s’animer les bricolages des uns et des autres. Ces soirées ont tendance à faire un peu de concurrence au téléviseur qui déverse ses bêtises dans l’espace commun.

La dernière étape du processus est la préparation durant deux semaines intenses de petites scènes à présenter à la communauté lors de l’anniversaire du village, toutes tirées d’improvisations proposées par les enfants.

Ateliers de mai à aout 2016, Palomino, Guajira, Colombie

Depuis notre arrivée à Palomino, nous cherchons des histoires du village, de ses habitants et de ses paysages. Nous cherchons la mémoire du village pour comprendre mieux, et aussi pour pouvoir la raconter à travers de nos outils artistiques. Grâce à Aljemiro, un volontaire de la Defensa civil Colombiana*, nous pouvons rencontrer et travailler avec un groupe de personnes âgées de Palomino.

Dans la petite salle suffocante de chaleur de la Casa de los Abuelos, nous nous réunissons avec une douzaine de personnes, pour prendre le temps d’écouter ce qui s’est vécu, le re-signifier, lui donner la valeur qu’il mérite, reconnaître le particulier et le commun, l’émotionnel et le politique.

Les prétextes pour se raconter ne sont autres que des objets que nous amenons et que nous disposons sur un drap au sol. À partir de là, les regards cherchent le familier, les mains attrapent telle ou telle chose avec un tremblement silencieux, et les mots résonnent, d’abord timides, puis de plus en plus nombreux et affirmés. Rires, larmes, intimités et complicités.

Du chapeau traditionnel Wayuu * qui rappelle à Teresa son papa allant aux champs sous un soleil de plomb, au coquillage de la plage permettant à Alfonso de nous raconter comment la mer, il y a longtemps, a dévoré le village de Palomino ; du collier de perles agrippé par el Compadrito avec toute l’émotion d’avoir aimé tant de femmes et de ne plus en être capables, à la bougie nommée par Arjermiro dans un rire “Electricaribe”(entreprise d’électricité du village aux prix abusifs et au service extrêmement défaillants) ; du masque africain que Mireya choisit pour parler de l’importance des histoires que lui racontaient ses grands-parents, au marteau qu’Oscar caresse du regard se rappelant le temps où il travaillait dans une ferme de laquelle il a dû fuir plus tard… Du bateau de papier amenant avec lui l’image des innombrables sacs de poissons qui arrivaient chaque jour sur la plage de Palomino avant l’arrivée du port de charbon, au sac où l’on chargeait tout ce qu’il fallait pour voyager par la plage jusqu’à Santa Marta avant l’arrivée de la route…

En peu de temps, il s’en est raconté des histoires, et avec une nécessité incroyables d’être écoutées, d’être partagées, et de devenir dignité.

Le processus s’est malheureusement arrêter trop tôt, faute d’un vrai engagement institutionnel à nos côtés.