C’est une ville. C’est pas une grande ville, ni un petite ville de rien du tout.C’est une ville comme toutes les villes ; comme ici, comme là-bas, comme chez vous, comme chez moi.Et y a des gens ; pas des gentils, pas des méchants, y a des gens comme tous les gens, comme toi, comme lui, ou comme elle aussi.
C’est un jour… pas un jour de guerre, ni un jour de fête ; ni trompette ni mitraillette. C’est un jour comme tous les jours ; comme lundi, comme mardi. Et aussi comme aujourd’hui.
Et c’est dans l’ordinaire de ce jour sans mélodie que quelque chose va changer la vie.
Sur la place principale, il y a un étrange homme debout. Sous une marmite crépite un feu et l’homme gueule dans le matin taiseux : «Soupe aux cailloux ! »
Les gens sont chez eux, enfermés calfeutrés ; et écoutent sous les verrous le terrible appel de l’étranger : «Soupe aux cailloux ! »
Grincent les portes, suintent les murs ; tremblent les vitres dans un murmure, vacille la ville et son air sûr.
« Soupe aux cailloux ! »
Silence sur la place. Le soleil est haut, les messes sont basses, les cœurs sont las. – Attends, attends donc qu’il s’en aille celui-là…
Mais dans les ruelles aux pas feutrés arrive soudain l’inespéré…
C’est la fameuse et intrépide Arlette qui, cherchant justement une recette pour les jours de misère et autre diète, sort de sa maison, s’approche de l’homme debout, goûte la soupe et dit dans une moue : – Y a même pas d’sel dans vos cailloux ?
Arlette est choquée scandalisée «Quel manque de goût ce faux gourmet… Et quel surplus de toupet ! » Elle fait volte face conservant sa grimace et clopin clopant à toute cadence s’en va remédier à la carence. Et c’est avec le mystère d’un chef cuisto qu’elle ajoute son grain de sel à l’eau.
Ils sont maintenant deux à crier : Soupe aux cailloux !
Commérant à la fenêtre Marie s’agite s’inquiète rouspète; Arlette est sûrement en danger : gare aux étrangers, ils l’ont dit à la télé. Et prenant son courage à deux mains, et aussi son balai à gros crins, elle sort avec l’aplomb d’un guerrier japonais, apprendre à danser au grand dadet.
Marie s’approche d’un bon pas militaire gardant la proie dans sa visière Marie se sent la force d’un bataillon : Qu’on arme donc les canons !!!! Mmmmhhhh…. Mais… Mais… Mais… à cette soupe il lui manque des navets !!!!
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Et laissant tomber son armée les grandes manœuvres et le balai Marie court à son potager cueillir un bonne poignée de navets. Et c’est avec sa douceur particulière qu’elle les balance dans la soupière.Ils sont maintenant trois à crier : Soupe aux cailloux !« Wesh, il s’passe quoi ? ça s’ambiance là ! » Tout seul en bas de chez lui, Momo n ‘en revient pas : Lui à qui on a tant dit de baisser le son, sort sur la place en quête d’un peu d’action
«Une soupe de végétariens ? Vous êtes oufs à la fin ? Vous avez vraiment cru que j’étais un lapin ? » Et Momo va à la boucherie du coin, demander un poulet dodu à son cousin.
Ils sont maintenant quatre à crier : Soupe aux Cailloux !
Dominique rentre du bureau pressé et fatigué. Il ne comprend pas ce que fait cet étranger : C’est quoi ce cirque bruyant et mélangé ? Une cantine populaire, ici, dans son quartier ? Mais l’odeur de la soupe le rappelle à sa Mémé, Et comme elle détestait les soupes décolorées, il court acheter des carottes au supermarché. Et c’est avec la nostalgie d’un autre âge qu’il agrémente le potage.
Ils sont maintenant cinq à crier : Soupe aux cailloux !
Et de Bernard à Léa de Simon à Fatima de Hervé à Noémie petit à petit tous se rassemblent autour du feu et puis ajoutent un morceau d’eux:
Tomate amour et potiron parole épinard ou bien chanson poivre doux colère joie et cresson carotte anchois haricot et question
La soupe cuit, la soupe mijote, la soupe se concocte…
C’est un potage tout mélangé un joyeux bouillon d’humanité une mixture aux cents visages que veille tout le voisinage devenu un seul et même cuisinier
Et à l’heure du festin il y a une cuillère dans chaque main et pour tous une grosse faim
Faim de loup faim de nous faim de s’inventer le quotidien faim de vrais banquets communs faim, faim à la fin ! Faim de vie, de faire revenir nos utopies aux petits champs d’unions, à la sauce transformation; se partager les bouchées de la reine et dévorer les espoirs de belle haleine!
Ventres contents et cœurs repus souriants et fiers comme on y croyait plus, l’aurore les cueille rêveurs réunis dans une même ferveur
Dans la marmite ne reste qu’une pierre, l’étranger la reprend, se l’attache en bandoulière, et crie en s’éloignant jusqu’au village suivant :
« La recette est à vous :
Soupe aux Cailloux ! »
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