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janvier 2018, Aubervilliers, France

On le sait, c’est un peu comme une mission impossible, ce projet.

Une résidence-laboratoire dans deux quartiers d’Aubervilliers pendant cinq jours en plein hiver afin d’expérimenter des formes de théâtre-journal dans l’espace public à partir des récits des habitant.es et des actualités du moment.

TATATATAN !

Ça sonne presque comme une blague. Bon, mais on aime ça les blagues.

Alors, en ce samedi pluvieux, on est sept autour de la petite table basse de la Fabrique des Mouvements à se demander en souriant malicieusement par quel bout on commence.

Cette idée de travailler sur des formes de théâtre-journal est née en Colombie, avec le projet Apartados qui met en parallèle les accords de paix entre les FARC et le gouvernement à travers du discours du Prix Nobel de la paix du président Santos, et des communiqués d’une communauté paysanne en prise à une nouvelle incursion paramilitaire dans son territoire. De là, l’envie d’expérimenter cette même mise en parallèle dans le contexte français, et avec les ami.es resté.es là-bas…

Pour expérimenter des formes dans l’espace public, il nous faut en créer et pour en créer, nous avons besoin de plusieurs éléments:
– des actualités racontées par les médias
– des récits de vie ou images récoltés dans les quartiers

Donc notre semaine va s’organiser autour de quatre activités, dans l’ordre et le désordre:
– aller dans le quartier à la rencontre des réalités et des habitant.es
– fouiner dans les journaux et autres médias
– créer des petites formes théâtrales
– jouer les petites formes théâtrales dans des espaces publics

Ce qui suit n’est en rien une analyse exhaustive de la recherche menée, mais plutôt une sorte de florilèges d’images, de rencontres, d’ambiances glanées durant ces cinq jours. Histoire de vous transmettre la sensation qu’il nous reste : celle de la découverte d’un chemin qu’il nous faudra parcourir avec beaucoup plus de temps…

Brève introduction : Qu’est ce que c’est que le théâtre-Journal ?

Le théâtre-journal est une des premières techniques développées par le dramaturge Augusto Boal et sa troupe et fait partie de l’éventail du théâtre de l’opprimé. Créé dans les années 1960-70 au Brésil comme forme de résistance au régime de la dictature militaire, le théâtre de l’opprimé.e est un ensemble de techniques théâtrales qui visent à révéler les rapports d’oppression qui nous traversent et à faire émerger de l’analyse, du débat et des possibilités de transformation individuelle et collective.

Le théâtre-journal consiste en techniques simples permettant de transformer des nouvelles de journaux, ou tout autre matériau non-dramatique, en scènes de théâtre. En sortant ces nouvelles de leur contexte, en les lisant de manière insolite ou grossie, en faisant une lecture rythmée ou chantée, ou encore en les accompagnant d’éléments visuels ou sonores, d’éléments historiques, en les mettant en parallèle avec d’autres textes ou d’autres situations vécues, on peut mettre en évidence le caractère tronqué et aliénant de l’information publique.

Le théâtre-journal est une forme de théâtre de rue, populaire, qui vise à susciter le débat et la participation du public, pour réfléchir collectivement aux réalités que nous vivons en les confrontant aux discours politico-médiatiques, et en remettant au cœur des interactions les émotions et le vécu.

À la rencontre des quartiers : des lieux et des gens

La Poule Mouillée

C’est un lieu de rencontres où affluent des habitant.es des quartiers alentours, le nouveau Lidl d’Aubervilliers. On y rencontre une foule qui s’égraine, se laisse glisser sur les escalators avec ses chariots vides, ressort encombrée de courses de toutes sortes, de petites promos en bonnes affaires…

C’est très grand, c’est toujours plein et il y fait chaud.

Alors quand on a cherché des lieux où rencontrer des habitants, où récolter des histoires de vie, susciter des discussions et des débats, on y a tout de suite pensé. Ce Lidl, c’est un des rares points sociaux névralgiques du quartier, surtout lors d’une des semaines les plus pluvieuses de l’année.

On se poste là, dans le hall. On se demande si on ne devrait pas plutôt aller dans les rayons. Comment amorcer une conversation ? On piétine. Ça avait l’air plus simple sur le papier, ce machin de « récolter la parole des habitant.es ». Bon, et puis, hop, on se lance.

On a préparé une question simple, on verra bien à quoi ça nous mène : « Imaginez, vous avez une poule, elle a pondu des œufs toutes ces dernières années, et puis un jour, elle arrête de pondre des œufs. Qu’est ce que vous en faites ? »

On s’est dit qu’on avait envie de travailler sur la question du travail, et alors sur celle du chômage, et donc celle de la productivité ; d’abord parce que le projet de loi sur l’assurance chômage est en débat et puis parce que ces derniers temps les insultes aux chômeur.ses n’ont pas cessé de pleuvoir, humiliantes et tranchantes comme des couteaux. Alors quand Michel nous a parlé de cet article sur cette ferme pour poules à la retraite, on a biché. Bon évidemment, cette histoire de poule, c’est un peu réducteur, mais l’idée c’est de tenter sans trop douter.

C’est une excuse pour enclencher la relation. Et contre toute attente, ça marche plutôt.

«  Ben je la fais d’abord ausculter par des gens habilités pour ça… »
« On a une grande voiture, y aura toujours une place pour elle ! »
« C’est pas grave, je lui ferai couver les œufs des autres poules »
«  Ben je la garde ! On jette pas une femme sous prétexte qu’elle peut pas avoir d’enfants ! »
«  On pourrait l’inviter à un repas ; la manger c’est aussi partager un moment ensemble, non ? »

Et de poule en aiguilles, les gens se mettent à parler, longtemps. Certain.es restent 20 minutes à raconter leurs morceaux de vie, du désir d’obtenir un CDI, aux raisons économiques qui les poussent à faire tant de trajet pour venir jusqu’au Lidl ; de leurs scrupules à demander le chômage pour laisser l’argent aux autres, à leurs colères ténues mais fermes: “personne ne choisit de se la couler douce à la maison !”

Finalement, grâce à la poulette, on arrive à récolter des récits par rapport à cette question du travail et du chômage, et par rapport à cette culpabilisation des chômeur.ses. Surtout, on se rend compte que, contrairement à ce que nous font croire les médias et discours politiques, le monde ne se réduit pas aux actif.ves et aux chômeur.ses ; qu’il y a une infinité de manières de vivre le travail, de s’activer et de chômer. Mais ça ne rentre pas dans leurs numéros.

Le cheval gagnant

Il règne un silence religieux. On n’entend que la voix enthousiaste du commentateur. Et puis le bruit des pages des journaux spécialisés. Celui des pièces de monnaie dans la machine. Tou.tes les client.es ont les yeux rivés sur l’écran. C’est à en avoir le souffle coupé, tant de concentration.

Au Café de la paix, celui qui est en face du Lidl, l’ambiance est à la compétition. L’enjeu : parier sur le cheval gagnant. Pour cela, pas d’alliances possibles. Chacun.e joue dans son coin, taiseux et méfiant; espérant secrètement remporter le prix de la vérité, et ne pas avoir à le partager.

On s’est assises à une table. On sirote nos cafés. C’est un autre des lieux de sociabilité du quartier, le PMU. On a décidé qu’on viendrait essayer de comprendre comment ça marche ce machin-là. Et puis ça nous donne un prétexte pour occuper la table des habitués.

Face à tant de concentration, on se tait et on regarde ; on écoute le commentateur.

“Il est teigneux, il est brave, il veut gagner…”
“C’est un très bon cheval, même si c’est un cheval étranger”
“ Ça ne s’annonce pas facile pour cette jument, face à des chevaux plus jeunes et sans doute plus doués qu’elle”
“ Sa forme ne fait pas défaut mais il a manqué de réussites”
“C’est un cheval difficile mais qui a des moyens”

Si ce n’était pas pour le mot “cheval”, on croirait entendre les commentaires des profs aux conseils de classes du collège. Ou bien le discours pêchu des pros du coaching/ management. Tiens, le voilà peut être le rapport à l’actualité… cette histoire de compétitivité… Mais chut, laisse venir !

Après quinze minutes, on finit par oser saluer un monsieur et lui demander de s’approcher. On chuchote pour pas déranger le reste des joueurs : “Excusez nous… En fait, on aimerait bien savoir comment ça fonctionne, les courses de chevaux…” Ça l’amuse, notre question. Il s’assoit, illico. Il a l’air content qu’on demande. Il appelle un copain ; qui s’assoit aussi. Et puis ils commencent à nous expliquer : les jockeys, leurs expérience ; la disqualification pour les chevaux qui ne courent pas à la bonne allure ; le choix de certains jockeys de déferrer leur cheval: ça leur use le sabot rapidement mais comme ça ils vont plus vite.

Ça va vite de faire les parallèles avec le marché du travail, non?

“Vous voulez tenter ? Tente la date de ton anniversaire, comme ca, au pif. Ou bien un numéro que t’aimes bien.” Tu parles ; ils vont pas non plus nous donner leurs astuces. Préfèrent se réserver la victoire. Ca les fait marrer qu’on tente sans rien savoir. Bon, évidemment, on perd. Nos deux compères aussi. C’est Exotica qui l’a remporté. Elle l’a pas volé, avec un nom pareil !

“C’est de la chance” ils disent.

Talent, moyens, chance?

Mouais. “ Mais vous, vous avez déjà gagné ?”

“Ben ouais! On est là pour gagner.”

Et puis ben c’est l’évidence : La française des jeux, c’est comme le capitalisme, tout le monde joue (tout seul), mais les seuls qui gagnent vraiment, c’est ceux qui inventent le jeu.

Interventions dans l’espace public : tentatives

La Cravate Solidaire

Assistance Réussite -Donnez vous enfin les moyens !
La pancarte postée à la sortie du RER attire la curiosité de plus d’un passant.

On a sorti nos plus beaux manteaux ; on s’est lissé les cheveux ; on a l’air correct.es. Aujourd’hui, on a décidé de se faire passer pour une agence de coaching pour chômeurs. L’idée est née d’un article de la veille : la direction de Pôle Emploi Hauts de France a envoyé un mail à tous les agents pour leur demander d’amener au travail toutes leurs vieilles cravates, tailleurs, vestes et mallettes pour en faire don aux chômeurs. C’est l‘association « La cravate solidaire » qui est à l’origine de cette brillante idée : les chômeurs n’ont parfois pas les moyens ou le temps de se vêtir correctement pour un entretien d’embauche ; un accessoire comme une cravate peut être le petit plus qui leur donne la confiance nécessaire pour décrocher un emploi.

Nous, en lisant ça, on a pensé à Vincent rencontré au café et qui nous avait dit avec beaucoup d’aplomb: « c’est pas la cravate qui compte, c’est la tenue, le fait de se tenir. Si tu portes la banlieue avec toi, ils vont pas te prendre. »

Et puis on a pensé à la poule aussi, et aux chevaux. A la bonne allure qu’il leur faut avoir pour ne pas être disqualifié, au poil lisse et brillant qui fait parier les joueurs ; à la supposée chance sur laquelle repose la réussite. A l’éternelle culpabilisation des chevaux perdants.

Alors on a eu envie de savoir ce que pensaient les passants de tout ça. On a voulu tenter une nouvelle manière de récolter les expériences, en utilisant le théâtre même. Le dispositif est simple : à la sortie du RER, quatre personnes affublées des badges « Assistance réussite » interpellent les passant.es qui veulent bien s’arrêter. Elles leur font répondre à un questionnaire autour de la notion de réussite ; puis les guident vers une valise contenant des cravates de toutes sortes et divers accessoires. Elles font essayer les passant.es puis les prennent en photo. Tout au long de l’intervention, le discours est celui du management dans toute sa splendeur. Les supposés coaches guident ensuite les passants vers deux d’entre nous qui leur explique notre démarche et récoltent les réactions.


« Tu crois qu’avoir une cravate pour passer un entretien d’embauche te donne plus de confiance ? »

Yassa rit allègrement. C’est la question qui la fait rire. C’est qu’elle n’a pas vraiment l’air de manquer de confiance, Yassa. Avec son diplôme d’ingénieure électromécanique en poche, ses expériences en Norvège et au Canada, et les étincelles qu’elle a dans les yeux et dans les mots, elle n’a encore jamais décroché un emploi. Au téléphone pourtant, les employeurs ont toujours l’air très emballés. Mais après la rencontre, ça ne va jamais plus loin ; ça se solde par un « Je vous rappelle » qui ne donne jamais suite.
La semaine dernière, Yassa a participé à un stage de coaching pour des jeunes qui ont des diplômes et ne trouvent pas de travail. Elle a été dégoûtée : on lui a gentiment conseillé de retirer son voile pour pouvoir trouver un emploi. Faire ce petit effort là. Juste ça. Elle s’y refuse. Elle veut qu’on l’embauche comme elle est, ou pas du tout.

«  Ils veulent qu’on mettent une cravate pour pouvoir nous tenir en laisse ; faire ce qu’ils veulent de nous. Moi j’en mets pas. Je veux pas qu’on m’oblige. » Yassine, la cinquantaine, est énervé. Il parle fort, et avec de grands gestes. Il se refuse d’être leur chien en cravate, aux dirigeants, patrons et politiciens.

«  Les chômeurs ils trouvent pas de travail parce qu’ils veulent pas travailler, c’est tout. Moi, par exemple, je suis chômeur ; ben je veux pas travailler. Si le salaire minimum était plus haut, ce serait différent. Mais là, tu te casses le dos pour un salaire de misère. Avec un smic, tu paies ton loyer , et après qu’est ce qu’il te reste ? » Hamza, casquette vissée sur la tête, ne mâche pas ses mots. « Quand ils augmenteront les salaires, je me mettrai à travailler ».


Nous réussissons ainsi à récolter des réactions et récits de vie. Mais dans l’ensemble, l’expérience ne fonctionne pas comme nous l’attendions. Là où nous pensions récolter des réactions de désaccord ou de colère, nous récoltons plutôt des hochements de tête polis. Alors que nous pensions pouvoir discuter en profondeur du projet de société qui s’insinue derrière « la cravate solidaire », les passants s’arrêtent souvent à l’anecdotique de la cravate en entretien d’embauche. Il nous semble analyser quelques unes des causes de cet « échec ». D’abord les passants croient à notre mise en scène comme une situation réelle et se plient au questionnaire et au discours avec une grande obéissance. Il semble que nos badges et le relatif sérieux du dispositif ont une certaine valeur d’autorité qui ne laisse pas beaucoup de place à la contradiction. Ensuite, nous supposons que ce qui nous choque dans la cravate solidaire –à savoir le discours normatif et culpabilisant des chômeurs, est en fait une vision du monde tellement entendue et rabâchée continuellement qu’elle ne choque plus. La caricature que nous pensions faire du discours managérial en vigueur s’avère en fait être une pâle copie de la réalité.

Choose france

Tapis rouge, coupes de champagne, drapeaux tricolores. Deux valets coiffés de perruques du 16ème siècle s’activent dans l’espace à la cadence de la Marche des turcs de Lully. Un policier à moustache, quelque peu menaçant, empêche l’entrée, posté à côté du panneau annonçant le grand événement : Choose France. Si c’était sans compter le froid et l’humidité hivernale qui s’immisce jusque sous les manteaux, le jus de pomme à la place du champagne, et puis les couleurs de peaux et les accents du public, on s’y croirait presque, à Versailles.

Nous sommes sous la ligne du RER B à la sortie de la station La Courneuve-Aubervilliers. Quelques curieux.ses interrompent leur course folle vers les quais pour regarder ce que manigancent ces deux valets en costard-cravate. Et pourquoi ce Choose-France ? Ça en agace déjà plus d’un cette bouffonnerie à la française.

Et puis d’autres personnages arrivent, des riches en fourrures, accueillis à bras ouverts par les deux lèche-cul qui les affublent de noms de grandes entreprises : Google, Macdonald, Danone, Carrefour, Facebook… Ah, ce sont donc des entrepreneurs, des patrons quoi. Certains sont détectés au milieu des spectateur.ices et invités au grand dîner privé. Les autres spectateur.ices n’ont droit qu’au regard noir du policier. Les invité.es prennent un malin plaisir à jouer les riches : lèvent le petit doigt, parlent avec une patate dans la bouche et s’étonnent qu’une sauterie de cette taille ne coûte que 600 000 euros. Et on rit. C’est bon de se moquer de ceux qui passent leur temps à nous piétiner.

On entend le Menu du chef Ducasse, le prix de la soirée, les magouilles de licenciement et de paradis fiscaux. Et puis soudain, l’annonce du discours du président. Sur la table du banquet, une cloche se soulève découvrant un jeune poulet à l’écharpe tricolore. «  You are rich, you have money : I love you ! France loves you ! Welcome To France ! Choose France ! »

Dans le public: “C’est Macron, c’est Macron”. Rires.

Fin du discours. Cotillons. La marseillaise, entonnée au Kazou, est interrompue par Pauline qui se hisse avec véhémence sur un plot et annonce le projet de loi asile et immigration proposé par le gouvernement : toujours plus de contrôle, l’interdiction à l’hébergement d’urgence pour les sans papiers…

L’idée de cette petite forme est née il y a deux jours de la collusion de deux informations différentes, celle du grand dîner qu’organisait Macron pour inviter les 140 PDG les plus influents du monde pour une grande soirée de gala à Versailles, évènement intitulé Choose France, et celle du nouveau projet de loi sur l’immigration en lien avec la lutte d’un collectif de sans papiers dans un des quartiers d’Aubervilliers où on travaille. Et alors cette mise en parallèle assez évidente… Qui accueille-t-on en France? Qui expulse-t-on? Et quel lien de cause à effet?

Choose France ? Choose France pour qui et pour quoi ? C’est la question qui est posée. Et il semble que le public comprend. Et écoute avec attention l’invitation qui est faite à la manifestation de samedi contre cette loi. Et reçoit avec reconnaissance les tracts distribués par trois membres du collectif de sans-papiers d’Aubervilliers rencontrés il y a deux jours dans le quartier.

C’est notre dernière soirée de résidence sur le théâtre-journal. On joue une dizaine de fois, et puis on remballe. On est content.es. On s’est bien marré.es. Y a eu du monde, finalement. Et puis des gens en colère, ragaillardi.es par cette petite mise en scène. Bien sûr c’est loin d’être le grand soir. Mais on a l’impression que quelques paroles se sont libérées, et qu’au moins, on s’est senti.es plusieurs à être touché.s par le sujet… Ça aura peut être permis de faire passer l’info de la manifestation de samedi. À se rencontrer et rire, histoire de se donner du courage.

Et puis, nous reste dans le cœur une certaine malice à la pensée qu’on a déshabillé Versailles à Aubervilliers.

Conclusion: de l’envie et beaucoup de questions

On est content.es de notre semaine. Le peu de temps que nous avions nous a permis de nous jeter à l’eau et d’essayer pleins de manières de récolter de la matière, sans trop se poser de questions. On a fait de belles rencontres. On a réalisé combien les gens avaient besoin et envie de parler de leurs expériences, de leurs colères et de partager un instant dans l’espace public. On s’est amusé.es à créer ensemble. On a rencontré un collectif de lutte dans le quartier ; on a mis nos outils au service de leur urgence du moment : convoquer pour la manifestation de samedi.

Bien sûr, il nous reste de la frustration, aussi. L’envie de recommencer cette aventure avec un mois devant nous. De chercher plus, d’embarquer des habitants dans notre bateau.

Et puis surtout cette semaine a ouvert beaucoup de questions par rapport au théâtre journal, par rapport à notre posture, nos objectifs. Celle-là plus forte que les autres : comment créer des formes du point de vue des opprimé.es, vraiment ? Avec le théâtre forum, c’est facile, il y a des techniques pour ça. Mais en théâtre journal ? Comment ne pas calquer notre vision du monde et chercher à faire accoucher les gens de ce que nous voulons entendre ? Comment ne pas tomber dans du pamphlet ou du théâtre militant, mais créer du débat, ouvert ?

A suivre, donc…

El Equipo

Valentina, Myriam, Michel, Pauline, Jorge, Asmahan, Perrine, Ladislas Los bellos encuentros: - El Collectivo Shaeffer de Aubervilliers - colectivo de sin papeles en lucha contra la expulsión de su lugar de vida y contra la nueva ley de Asilo Inmigración de Francia. - Yassa, habitante del barrio que nos acompañó durante dos sesiones.

El lugar de residencia

La residencia-laboratorio se realizó en La Fabrica de Movimientos, una estructura de acogimiento que acompaña jovenes a partir de los 16 años ubicados por las autoridades judiciales o administrativas.

Partenaires 

Para la realización de este proyecto de residencia, nos beneficiamos del apoyo de la ciudad de Aubervilliers a través del Fondo de iniciativa asociativa de la ciudad de Aubervilliers.
 

L'équipe

Valentina, Myriam, Michel, Pauline, Jorge, Asmahan, Perrine, Ladislas Les Belles rencontres: - le Collectif Shaeffer d'Aubervilliers -collectif de sans papiers en lutte contre l'expulsion de leurs lieu de vie et contre la nouvelle loi Asile Immigration - Yassa qui nous a accompagné à deux reprises durant le processus

Le lieu de résidence

La résidence-laboratoire a eu lieu à La Fabrique de Mouvements, une structure d’hébergement accompagnant des jeunes à partir de 16 ans placés par les autorités judiciaires ou administratives. Cette structure mettra à notre dispo- sition un espace scénique de 150m2 pour pouvoir réaliser la résidence-laboratoire. L’originalité de ce lieu est que nous cohabiterons avec les jeunes suivis par la structure.

Partenaires 

Pour la réalisation du projet de résidence, nous avons bénéficié du soutien de la ville d'Aubervilliers à travers de son Fond d'Initiative Associative de la ville d'Aubervilliers.
 

Tele Tulpa est un projet de création que nous avons conçu, réalisé et présenté avec le groupe de théâtre Kxsaw üus de Toribio. Ce projet est né de la rencontre de nos deux groupes de théâtre, Soupe aux Cailloux et Kxsaw üus, de l’envie de créer un spectacle ensemble, et de la nécessité partagée de parler de la problématique des cultures de marijuana sur le territoire de Toribio.

Suivent quelques réactions du public récoltées après les représentations:


« Pour résoudre ce problème, il nous faut revenir à ce que nous-même sommes et savons. Il nous faut faire mémoire. Et ce spectacle sert à ça. »
Je voudrais remercier le groupe de théâtre Kxsaw uus pour l’effort qu’il fait de tenter d’éduquer, parce que le théâtre aussi est une manière d’éduquer. On éduque pas seulement dans les collège ou les universités… Et je voudrais aussi vous remercier vous le public, parce que nous avons tous besoin de comprendre mieux la réalité, et le théâtre est une manière de parler de ce qui se passe, de ce que nous sommes en train de vivre. Et dans ce spectacle, nous voyons qu’une autre manière d’éduquer, c’est aussi en partant de ce que nous avons déjà, ce que nous connaissons profondément. Parce que nous sommes nasa, et face aux problèmes, nous pouvons orienter depuis nos racines: nous avons des racines importantes et ces racines nous enseignent beaucoup, et nous pouvons les rechercher et les comprendre pour parler des problèmes. Mais bien souvent nous nous focalisons plus sur le problème que sur la compréhension de nos propres racines. Nous les nasa, on peut s’appuyer sur énormément de nos propres connaissances et expériences, mais bien souvent on les étouffe ; on tente d’étouffer et de détruire nos racines depuis cette histoire qu’ils montrent-là dans le spectacle, depuis la colonisation qui est arrivée et a voulu nous mettre autre chose dans la tête et le cœur, depuis le drapeau de la Colombie… Et c’est pour cela que la résistance, que la lutte sont très importantes. Tout ce qu’ils ont montré là, c’est l’importance de cette racine autour du feu et de la famille autour de ce feu. Parce qu’aujourd’hui, l’argent est plus important que la famille. On parle même plus avec les grands parents. On parle même plus entre parents et enfants. Parce qu’on est collés à la télévision tout le temps, on a l’impression qu’on apprend d’elle. Ou bien on pense que l’éducation, ça doit se faire à l’école… Donc, en conclusion, pour résoudre ce problème, il nous faut revenir à ce que nous-même sommes et savons. Il nous faut faire mémoire. Et ce spectacle sert à ca.


« Le rêve de la mère nature, c’est ça qui nous guide. C’est quoi mon rêve ? Porter le bâton, le chapeau, la jigra. Avoir le droit de marcher et parcourir le territoire, le droit d’être exigent avec la communauté. »(Il parle d’abord en nasa yuwe). Que ceux qui ne parlent pas nasa yuwe m’excusent. Je vais le dire en espagnol. Je me sens très content, vous avez réalisé un théâtre très beau: vous avez montré ce que les grands-parents, ce que les ancêtres nous ont laissé, qu’est ce que c’était la tulpa, qu’est ce que c’était notre propre racine. Moi, en tant que vieux, je ressens de la douleur. Je vois que nous sommes en train de nous détruire nous-même, petit à petit. Parce que les anciens ont laissé un bon exemple, beaucoup de contenu, beaucoup de sagesse, mais on a pas su utiliser cet exemple. Là, comme vous me voyez, j’ai toujours travaillé pour ma communauté. Parce que je ne veux pas que les jeunes se perdent. Je souhaite qu’ils aient un bon environnement, un bon chemin. Mais aujourd’hui, ce qui nous guide, ce à quoi on obéit, c’est seulement ça (il se frotte les doigts) : le maudit billet. Ca c’est ce qui est en train de nous corrompre. J’ai un bon paquet d’années, et je porte mon chapeau, et je porte ma petite jigra (sac en fibres traditionnel). Tisser des chapeaux, tu vois, ça c’est ma vie, c’est grâce à ça que je gagne le pain de chaque jour. Je vends des chapeaux, quand je travaille à la guardia, le soir, je commence à tisser. Et je dis à mon petit fils : « tu dois apprendre à tisser des chapeaux, les femmes doivent apprendre à tisser des jigras, des chumbes… » Ca c’est notre bonheur à nous. Ca c’est le bonheur, la vie garantie. Mais aujourd’hui, on se gâche la vie soi-même, on gâche la vie de l’autre. Vous vous dites sûrement que ce vieux a étudié. Non, j’ai jamais été à l’école. J’ai juste appris à signer. Et de la signature… je me suis mis à marcher. Avec la Guardia j’ai parcouru beaucoup de territoires. Et je me sens content. Et c’est pour ca que je dis qu’aujourd’hui les jeunes nous montrent ce que c’est l’éducation avec leur « Tulpa Tele ». Le rêve de la mère nature, c’est ça qui nous guide. C’est quoi mon rêve ? Porter le bâton, le chapeau, la jigra. Avoir le droit de marcher et parcourir le territoire, le droit d’être exigent avec la communauté. C’est pour ça que je suis venu vous accompagner ce soir, pour voir ce que vous étiez en train de faire. Et je le vois dans ma propre chair, et je me sens très content. Je pourrais encore parler toute la nuit… Merci beaucoup, je me sens content.


« Et là, il y a des enfants, qui dans quelques années vont être en capacité de décider ; et le théâtre est une très bonne manière de parler de la problématique qu’amène la culture de marijuana»

Bonsoir, je voudrais d’abord féliciter le groupe de théâtre pour cette excellente représentation. Je crois que le théâtre est un excellent outil pour faire connaître, dans ce cas, une partie de la culture nasa. Moi par exemple, j’habite ici mais je ne suis pas nasa ; j’avais déjà entendu parler de la tulpa, mais aujourd’hui j’ai pu en apprendre plus. Je crois aussi que vous avez réussi par le biais de ce spectacle de théâtre à faire connaître la problématique que connaît le territoire et que nous connaissons tous, celle de la culture de marihuana. Et il y a une réplique qui m’a retenu l’attention : lorsque quelqu’un dit : « vous, vous avez déjà profité avec la culture du pavot, alors laissez nous vivre de la marihuana. ». Bon, moi, je me dis, à un moment ça a été le pavot, aujourd’hui c’est la marihuana, demain ça peut être autre chose. Et là, il y a des enfants, qui dans quelques années vont être en capacité de décider ; et le théâtre est une très bonne manière de parler de la problématique qu’amène ce genre de culture. Et du coup, je voudrais vous faire une recommandation : ça me paraîtrait excellent que vous montriez ce spectacle dans d’autres territoires, et que vous travailliez avec les plus petits. Parce que ça, aux enfants, ça leur reste gravé dans la mémoire. Parce que sans doute que beaucoup d’adultes leur parlent de ça, mais ils ne le sentent pas comme ils ont pu le sentir aujourd’hui grâce au théâtre.



« Aujourd’hui, le spectacle m’a rappelé le drapeau, l’épée et la croix, qu’ils ont amenés pour étouffer notre tulpa. »

( Parle en Nasa Yuwe) Bonsoir. Je voudrais tous vous remercier. Vraiment, ce qu’on vient de voir, c’est quelque chose qui m’émeut beaucoup. Moi, même si je suis nasa, à partir des années 70, je me suis fatigué d’être nasa, et je suis parti ailleurs, et j’ai commencé à perdre ma langue maternelle, le nasa yuwe. À ce moment, je me suis rendu compte que le nasa yuwe était une langue beaucoup plus dynamique, qui jouait plus, avec beaucoup de double sens, de cœur et tout. Et du coup, j’ai décidé de revenir par ici. En deux ans, j’avais déjà perdu beaucoup de ma langue, et je me suis dit : les grandes choses que l’on a dans la vie arrivent et s’en vont ; alors je suis revenu au nasa yuwe, à la famille, et à la Tulpa. Peu à peu, j’ai récupéré tout ça. Aujourd’hui, le spectacle m’a rappelé le drapeau, l’épée et la croix qu’ils nous ont amenés pour étouffer notre tulpa. Ca m’a rappelé que jusqu’à la conquête espagnole, on vivait comme on voulait vivre, à notre mode, mais qu’avec l’arrivée des espagnols, tout a changé. Eux, ils voulaient être propriétaires de tout. Et de là à 1991, on a survécu plus ou moins, mais en 1991, ils nous ont amené l’institutionnalisation. Parce que l’institutionnalisation aussi est arrivée avec l’homme blanc. Je souhaite que le groupe Ksaw uus puisse faire des recherches plus approfondies, parce que il y a énormément de matériel pour commencer à conscientiser plus. Et parler avec les anciens parce que eux ils connaissent le rêve de vie originaire. Le fait de parler de la Tulpa, ça touche quelque chose de spirituel qui fait réfléchir beaucoup. L’homme blanc est venu changer tout ca seulement pour l’argent. Depuis l’argent, tout à commencé à se corrompre. Comme avec la marijuana. Mais nous pouvons nous réveiller, comme vous l’avez montré.



« Et de nouveau tenter de retourner à la racine, mais pas pour marcher pieds nus, sinon parce qu’on est en train de perdre cette manière particulière et précieuse que nous avons de discuter, de sentir et de se réchauffer le cœur. »

J’ai beaucoup aimé le spectacle, cette manière de raconter à travers du rire un problème qui nous affecte… Vous avez réussi à mettre en débat un problème qui touche au cœur des gens. Et de nouveau tenter de retourner à la racine, mais pas pour marcher pieds nus, sinon parce qu’on est en train de perdre cette manière particulière et précieuse que nous avons de discuter, de sentir et de se réchauffer le cœur. J’adore comment ça se termine, ça me laisse énormément d’espoir ; cette manière de danser, de donner de l’énergie à la terre. Et je vous voyais et je me disais : et moi, pourquoi j’ai pas amené mes étudiants ? parce que je me rends bien compte que c’est une manière différente de raconter l’histoire colonisatrice qui nous a effacés. J’aimerai beaucoup que ce spectacle parcourt le territoire, les communautés. Parce que la vérité parvient jusqu’au cœur et te fait méditer. Et je crois que c’est ça l’important de ce spectacle. Et je continuerai à dire que l’art, c’est cette autre manière de dire ce que l’on ne peut pas dire dans les assemblées… Je vous remercie, félicitations.

Ficha Técnica

Creación Colectiva Con: (Grupo Kxsaw Üus de Toribío Cauca) Yamileth Tenorio Kelsy Tenorio Liliana Dagua Ximena Musicue Casso Edwin Rivera Jesus Penagos Geraldine Penagos Rosa Piñacué Asistencia y poyo a la creación Claribel Musicue Casso Puesta en escena: Jorge Mario Agudelo y Perrine Capon Construcción de títeres: Jorge Mario Agudelo y Perrine Capon Música: Edwin Rivera Montaje audio: Jorge Mario Agudelo Proyecto ganador de la beca de creación "Saberes en escena"del Ministerio de Cultura 2018. Con el apoyo de la casa de cultura de Toribío, Cauca

El grupo de teatro Kxsaw uus está conformado por unos diez jóvenes y adultos de Toribio y sus alrededores, apasionados por el teatro y que buscan a través de este arte contar y poner en debate con la comunidad las realidades de su territorio. Nuestro primer encuentro fue en abril de 2017; desde ese entonces hemos podido compartir mucho en talleres y laboratorios.

Toribio es un pueblo en la montaña poblado en su mayoría por la comunidad nasa. Toribio siempre fue el escenario de conflictos entre la guerrilla y el ejercito. Ultimamente, la aumentación masiva de los cultivos de uso ilícito, especialmente de los sembrados de marihuana agudizó en el territorio problemáticas como la presencia de grupos armados, la aculturación de los sentires y de las practicas cotidianas, la des-armonización de la conexión con la madre tierra, los daños ecológicos por los químicos que requieren este tipo de cultivo, las divisiones adentro de la misma comunidad etc. La consumación ilegal de la luz eléctrica para alumbrar los cultivos en la noche causa muchos cortes de luz, lo que nos dio un pretexto interesante para poner en paralelo esta problemática con la practica espiritual nasa de la Tulpa.

La Tulpa es uno de los fundamentos de la espiritualidad nasa. Tres o cuatro piedras están alrededor del fuego: es la primera familia que se reunió alrededor del fuego (sol). El fuego es lo que quema las malas energías, y carga de buenas energías. El fuego es fuerza de vida. La tulpa es un lugar cotidiano y sagrado a la vez en la vida de los nasas. Tradicionalmente, es el lugar familia donde se conocen los alimentos, donde reunirse para cocinar, contar su día, recochar, tejer; el lugar donde nos reunimos para estar fuertes y unidos. Las piedras son los mayores, los abuelos, o también los espíritus. Hay que brindarles chicha, coca... compartir con ellas lo que se consume.

Proceso de investigación y de escritura

El proceso de investigación fue doble: teníamos que investigar a la vez la realidad de los cultivos ilícitos, desde la vivencia, de la persona que siembra a la persona que consume, y a la vez la practica de la Tulpa en el territorio y sus fundamentos espirituales.

Improvisar para entender la problemática de los cultivos ilícitos

La investigación con respecto a los cultivos ilícitos se hizo a partir de improvisaciones teatrales. Esta realidad es tan presente que toda persona viviendo en el territorio tiene una idea que como se mueven las cosas. Así, a través de improvisaciones, pudimos recoger distintos puntos de vista. Tratamos de conservar una mirada relativamente neutra, tratando de entender las razones que tenían los distintos personajes de actuar como lo hacían. La problemática económica, de sustento básico, pero también de acceso a distintos “bienes de consumación” vendidos como indispensables para vivir en el “progreso”nos aparecieron como las razone principales de la participación a este tipo de cultivo. Eso confirmó para nosotros la pertinencia de tratar en paralelo la practica de la Tulpa y con ella el sueño originario de abundancia en la conexión armoniosa con la madre tierra.

Calentarse el corazón con la Tulpa

Fuimos a escuchar los mayores hablarnos de la Tulpa, de sus sentidos profundos, de la perdida de esta practica, de lo que sentían ellos al respecto. Pero también fuimos a encontrar dos familias que todavía tienen Tulpa familiar, que mantienen esta practica viva, tejida con su cotidiano, su vida. Compartimos con ellas momentos hermosos; pudimos conversar preguntar, escuchar sus sentires. Sobre todo, sentimos la fuerza de la Tulpa, el calor, la alegría, la union. Volvimos de estas experiencias con muchos sentires bonitos pero también preguntas profundas: Y yo, en mi casa, haría una Tulpa?

Guión

Se escucha la historia de creación del mundo en nasa yuwe. También se escucha una flauta. Se prende una Tulpa. Un mayor está cerca del fuego. Uno por uno llegan los invasores y tapan la Tulpa cada uno con un objeto: el soldado español y su espada, la monja y su velo, los independentistas y la bandera de Colombia... hasta el mafioso que llega con un costal de marihuana.

Una familia nasa acomoda todos los objetos que recubren la tulpa, acomodando así el interior de su casita. Luego todos se ponen a desmoñar la marihuana mirando la televisión que acaban de comprar. Un corte de luz lleva el abuelo a destapar la tulpa y a pedir que la prenden. Alrededor del fuego, la familia se pone a hablar de la Tulpa pero también a preguntarse acerca de la problemática de los cultivos ilícitos. Y se ponen a contar. Cada historia es un eslabón de la cadena de producción y venta de la marihuana, y se representa en escena... hasta que...

La obra

Tele Tulpa fue representada tres veces en Toribio y Tacueyo frente a un público numeroso de habitantes. Después de cada representación se abrió un espacio para que los espectadores compartan sus sentires y impresiones. Este espacio fue investido de manera muy linda. Acá van unas palabras cosechadas en estos momentos; entre sentires y vivencias, los hemos recibido como regalos preciosos para seguir pensando y sintiendo...

Le groupe de théâtre Kxsaw üus de Toribio est conformé d'une dizaine de jeunes et adultes de Toribio et alentours passionnés de théâtre et intéressés pour faire de cette pratique un outil de débat communautaire sur leur territoire et au delà. Notre rencontre remonte à avril 2017 ; depuis lors, nous avons partagé de nombreux temps d'ateliers et de laboratoire. Toribio est un village de montagne habité majoritairement par la communauté nasa. Toribio a toujours été le lieu de nombreux conflits entre la guerrilla et l'armée. Dernièrement, l'augmentation massive des champs de marijuana pour le trafic, approfondit sur le territoire des problématiques comme la présence des groupes armés, l’acculturation des modes de vie, la dés-harmonisation du lien à la terre, les dégâts écologiques dus aux nombreux engrais chimiques, les divisions à l’intérieur de la communauté etc. Les nombreuses coupures d'électricité dues à l'utilisation massive et illégale d'électricité pour éclairer la nuit les champs de marijuana nous ont donné un prétexte pour mettre en parallèle cette problématique et la pratique spirituelle nasa de la Tulpa. La Tulpa est un des fondements de la spiritualité nasa. Trois ou quatre pierres sont autour du feu. Les pierres sont la première famille qui s'est réunit au moment de la création du monde autour du feu (soleil), pour se réchauffer. Le feu est ce qui brûle les mauvaises énergies, et charge de bonnes énergies. Le feu est la force de vie. La tulpa est un lieu à la fois quotidien et sacré dans la vie des nasa. Traditionnellement c'est le lieu familial où l'on cuit les aliments, le lieu où l'on se retrouve pour cuisiner, raconter sa journée, faire des blagues, tisser ; le lieu où se rassembler, se réunir, pour être forts et unis. Les pierres qui entourent le feu sont les anciens, les grands-parents, ou bien les esprits. En tous les cas, il faut leur offrir de la chicha (bière de mais), des feuilles de coca... partager avec elles ce que l'on consomme. Le processus de recherche et d'écriture Le processus de création s'ouvrait donc pour nous sur une double recherche de terrain : à la fois, une recherche depuis l’expérience de la réalité du commerce de la marijuana ici dans le territoire de la personne qui sème à la personne qui la consomme ; à la fois une recherche autour de la pratique de la tulpa. Improviser pour comprendre le trafic de marijuana La recherche para rapport aux réalités du trafic de marijuana sur le territoire s'est fait par le biais d'improvisations. Habitant le territoire, tous avaient effectivement une certaine connaissance de cette réalité à travers de récits de proches ou d'expériences communautaires. Nous avons tenté lors de ce processus de garder un point de vue le plus neutre possible, tentant de comprendre les raisons des uns et des autres à agir comme ils le faisaient. La problématique économique, mais aussi le rêve rabâché du « progrès social » et du « développement » sont alors apparus comme des éléments centraux de cette problématique, nous confortant plus encore dans l'idée de l'intérêt de traiter en parallèle la Tulpa, et donc le « rêve originaire » d'abondance dans le lien harmonieux avec la terre. Se réchauffer le coeur à la Tulpa Bien sûr nous avons été écouter des anciens nous parler de la Tulpa, de leurs expériences passés, de ce que cela représente etc, mais surtout nous avons voulu aller vivre l'expérience de la tulpa. Nous avons ainsi pu visiter deux tulpas familiales différentes en deux endroits du territoire. Partager autour du feu avec les deux familles, participer à des offrandes, poser des questions, sentir la chaleur, la simplicité, la force de ce lieu-là. Nous en sommes revenus avec beaucoup de sensations, mais aussi de remises en questions. Et moi, chez moi, je ferai une tulpa ?  

Les lumières s’éteignent.
Silence.
Pssssssssssss, chtttttt, pssss, suuuuuuuu…
Tam tam tam tam…

Et on entend, en nasa yuwe*:

Nos anciens racontent que ce sont les esprits du vent,
qui habitent les recoins les plus profonds du monde,
qui tissèrent les premiers signes de vie:
tous les murmures se croisèrent et se choisirent par pair,
pour créer les sons, les couleurs et les formes,
avec la complicité de l’obscurité, de l’espace et du temps.

On entend une flûte.
Sur l’écran, trois losanges de couleur s’allument…

C’est une jolie matinée de mai.
Nous sommes à San Andres de Pisimbalá, dans le Cauca.
Dans la maison qui accueille les enfants de Kiwe Uma, une école autonome qui travaille depuis l’être et le sentir nasa (voir Kiwe Uma), avec les quatorze enfants de 4 à 15 ans, nous nous regardons avec des yeux ronds, et nous nous demandons :

C’est quoi le temps ?

C’est ce qui court, qui court, et qui ne s’arrête jamais, dit Elier.
Le temps, c’est tous les jours, dit Gilberto.
C’est celui qui nous dit les heures, dit Leo.
C’est celui qui nous trace le chemin à suivre, dit Nes.
Oulala, ça c’est un mot difficile, le temps… dit Sxayah dans un long soupir penseur.
Le temps, ça mord, dit Kxsaw’, qui a tout juste quatre ans.

Cette question, c’est notre question pour toute la création.

Les adultes de l’école se chargeront de nous raconter le temps nasa, le chemin du soleil et celui de la lune, et les tissages des origines. Nous, on se prépare pour parler de la conception du temps imposé par la culture dominante, cette culture dans laquelle nous avons grandi et qui, aujourd’hui encore, maintient le monde sous le contrôle d’une seule et même horloge toute inventée. D’où sont sortis les noms de jours de la semaine ? Et des mois ?

Alors on parle des romains, et on utilise Astérix et Obélix pour montrer aux enfants qui était Jules César. Pour leur expliquer comment cet empire est devenu chrétien, catholique, et comment, plus tard, ses rois ont envahi les terres d’ici avec des armées de soldats et de curés pour imposer leur vision du monde, leurs idées, et leurs temporalités. Comment ces idées ont évolué jusqu’au temps capitaliste globalisé d’aujourd’hui. Les enfants rient à gorge déployée de Chaplin et de ses temps modernes. Il s’impressionnent en voyant les vidéos de la production industrielle des poulets, où l’on tue 10 000 poulets par heure. (Voir Kiwe Uma)
Et puis nous revenons, plus tard, pour fabriquer à partir de cette première question et de tout ce que nous avons vu, réfléchi, et senti un premier spectacle de théâtre de marionnettes. Ce spectacle será présenté, plus tard aux enfants d’autres écoles autonomes nasa du Nord du Cauca, à quelques 300 kilomètres de San Andres de Pisimbalá.

On fabrique une machine à tuer des poulets, et on coud un deuxième vêtement à la marionnette de Jules César pour qu’il représente aussi un gros capitaliste :
Nan mais ces indiens, ils aiment beaucoup trop leurs poules ! et ils en ont seulement trois ! Hahaha ! Allez, venez, je vais vous enseigner comment on tue du poulet ! Suivez moi les gros !

Tout comme dans les autres processus de création que nous réalisons, l’écriture du spectacle se fait collectivement à partir d’improvisations. Une écriture du mouvement et de l’oralité qui va plutôt bien avec le dynamisme des quatorze enfants de Kiwe Uma et la recherche de formes d’écriture et de lecture propres au sentir nasa. C’est ainsi que nous trouvons le titre du spectacle tous ensemble :

Txi en txuskaw – Quel temps fait-il ?

Parfois, nous perdons patience durant les répétitions, un peu dépassés au milieu de ce tourbillon d’enfants d’âges si différents :
Comment on dit concentration en nasa yuwe ?
– Üus Kiptch, disent Nes et Leo.

Et ils nous expliquent que littéralement, cela traduit « se connecter avec le coeur » ; et que le cœur, pour le monde nasa, ce n’est pas qu’un organe individuel, mais c’est aussi l’énergie vitale essentielle qu’unit tous les êtres vivants.

Üus Kiptch, on dit pour essayer. Et tous les enfants, même les plus petits font silence et nous regardent, attentifs.

Et voilà, entre mots magiques et jeux théâtraux, on avance jour après jour dans la création. On écrit en mouvements, entre danses du buen-vivir (vivre savoureux) et opéras de peur du curé, scandalisé par l’ignorance de ces « sauvages ». On s’invente le ballet de envahisseurs en trois temps d’exploitation mondiale, le solo de pets du gros capitaliste qui s’étouffe d’avoir manger trop de poulet d’usine ; on danse la libération de la Mère Terre, et l’expulsion des envahisseurs par la communauté au rythme des tambours et des flûtes.

Abigail, une des fondatrices de l’école nous raconte alors son projet de thèse qui réunit les concepts nasa de la création du monde. Elle nous raconte comment les premiers esprits se sont entre-tissés pour créer les premières couleurs, et comment, de ce tissage sans fin, sont nés Uma et Thai, qui, se joignant, ont à leur tour tissé la vie et le monde.

Un sage de la communauté, ami de la famille, profite d’une longue nuit de palabres pour nous dessiner et raconter les symboles utilisés depuis des milliers d’année pour se référer au soleil à la vie, au temps…. Et c’est à partir de ces palabres que nous créons le début du spectacle, narré en nasa yuwe et représenté en théâtre d’ombres.

Bon, en vrai, au début, c’était pas un truc que les enfants comprenaient très bien, ce machin de « faire un spectacle de théâtre », et encore moins cette manie de répéter et répéter encore et encore. Mais le truc de « la tournée »et donc le voyage pour montrer le spectacle, ça, c’était clair pour tout le monde, et ça nous donnait de la force pour continuer à répéter.

Et c’est ainsi qu’est enfin arrivé le jour tant attendu de mi-novembre où nous sommes tous montés dans une camionnette avec le décor du spectacle destination le Nord du Cauca. Et c’est entassés à vingt dans cette camionnette homologuée pour dix que nous avons traversé le paramo*. Les cinq d’entre nous qui étaient perchés sur le toit de la navette ont pu sentir le froid de la montagne et se prendre du vent plein la figure. L’aventure !

Le spectacle a été présenté deux fois. Dans le Wasakwewe’sx* del Manzano, nous avons transformé la Tulpa* en théâtre, et le public, ravi, nous a demandé de le jouer deux fois ! La deuxième fois, ce fut dans l’un des points de Liberación de la Madre Tierra*, l’idée étant de continuer à tisser ces deux processus qui, chacun en des lieux et de manière différente, travaillent à prendre soin de la culture nasa et de la vie ; à libérer la terre, les têtes et les cœurs du capitalisme… Sur le point de liberación, beaucoup d’enfants et de jeunes ne comprenaient pas le nasa yuwe ; mais c’est là que le public a été le plus réceptif, les rires résonnant dans la tente-théâtre improvisée pleine à craquer. Ce soir-là, les enfants ont donc pu vivre la magie du temps présent partagé propre aux représentations de théâtre, ce cercle vertueux énergétique entre le public et les acteurs qui se chargent mutuellement, et qui donne tout son sens et sa nécessité au théâtre.

Et de nouveau, nous terminons ici par un « à suivre », parce qu’il n’y a pas de point final lorsque le processus est beau, et qu’on garde bien vivantes au bout du cœur les envies de créer, raconter, penser et partager.

Comme dans la conception nasa du temps, où la fin, rejoignant le début, est toujours un recommencement.[:es]

*Nasa yuwe: langue originaire du peuple nasa *Wasakwewe’sx*: nom des processus d'éducation autonome nasa qui existent dans le Cuaca *Liberación de la Madre Tierra: mouvement de récupération des terres monopilisées par l'industrie de la canne à sucre par les comunautés nasa du nord du cauca